BITCOIN: solution technologique en réponse aux attentes de la société?

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Le 3 janvier 2009, date de validation du premier bloc de la chaîne bitcoin (appelé « bloc de genèse »), marque le début de la blockchain et de cette crypto-monnaie, alors embryonnaire.

Si le bitcoin n’est pas, loin de là, le seul crypto-actif existant à l’heure actuelle, son statut demeure spécifique tant parce qu’il fut le premier crypto-actif à émerger, et qu’il a ainsi joué un rôle moteur fondamental dans le développement de cet écosystème, que par le fait qu’il est, en termes de capitalisation monétaire, la première valeur sur le marché des crypto-actifs. Né peu après la crise des subprimes, le bitcoin se veut en effet une réponse à l’échec de l’organisation monétaire et financière mondiale, et s’est d’abord développé autour d’une communauté antiautoritaire, les « cypherpunks », avant de se populariser, notamment auprès d’acteurs financiers bien établis.

Cette révolution s’inscrit-elle dans la longue histoire de la monnaie qui, au fil des siècles, n’a cessé de se transformer au gré des évolutions de la société ? Passant du troc sous l’Antiquité à la création de premières monnaies métalliques puis fiduciaires, les monnaies scripturales ont aujourd’hui pris le pas, saisissant les nouvelles possibilités offertes par la technologie (dématérialisation des échanges), et répondant à un besoin de mobilité croissant, rendant obsolètes les formes précédentes. Aussi, avec le développement d’un réseau mondialisé et décentralisé, serait-ce maintenant au tour des crypto-actifs ?

Un lien étroit entre blockchain et crypto-actifs, ou l’allégorie de l’œuf et de la poule

La plupart des crypto-actifs utilisent la technologie blockchain, laquelle a été développée grâce à un autre crypto-actif, en l’occurrence le bitcoin. Conformément à la logique d’Internet, le bitcoin est donc un outil de désintermédiation qui ne dépend d’aucune autorité, mais repose plutôt sur le principe du consensus distribué. Nous détaillerons son protocole en sous-partie suivante.

Les crypto-actifs – ou actifs numériques – sont donc les actifs échangés sur la blockchain et qui permettent de rémunérer les participants au fonctionnement du réseau. La blockchain – via son protocole et sa technologie – permet elle-même l’échange sécurisé, décentralisé et horodaté, de ces crypto-actifs. Ils paraissent donc indissociables bien qu’il soit techniquement possible de les utiliser séparément. Toutefois, dans cette partie – et au vu de leur imbrication originelle – leur histoire et procédé technologique seront analysés conjointement.


2008 : apogée d’une crise de confiance financière et institutionnelle, et émergence des crypto-actifs



Une réponse aux dérives d’un modèle financier à bout de souffle



La crise financière de 2008 a envoyé un signal d’alarme : notre modèle financier contemporain est à bout de souffle.

Les années précédentes ont en effet été marquées par un « paradoxe de la tranquillité », comme l’a théorisé l’économiste Hyman Minsky. Le contexte macroéconomique des années 2000, désigné comme celui de la « grande modération », a en effet été marqué par une inflation basse et stable, s’accompagnant logiquement de taux bas. Aussi, les banques ont pris davantage de risques financiers et les ménages et les entreprises se sont (sur)endettés. Cette situation a été renforcée par un « paradoxe de la crédibilité » dans laquelle la lutte contre l’inflation, ayant donné des résultats très favorables, a renforcé la crédibilité des banques centrales. Cette confiance a ainsi obéré les risques inflationnistes que pouvait induire l’ample liquidité au niveau mondial qui caractérisait cette période. Ce contexte non inflationniste et de baisse des primes de risque ainsi que des taux d’intérêt sur le long terme a ainsi favorisé l’expansion des crédits, avec un relâchement des conditions d’attribution des prêts.

C’est notamment ce relâchement, les effets de ce double paradoxe et des pratiques financières à haut risque – comme une titrisation des crédits risqués – qui ont conduit à la crise des subprimes. La confiance en l’État et les banques centrales a été fortement entachée.

En outre, cette crise a aussi mis en lumière le retard structurel de notre système financier par rapport aux nouvelles technologies. Hyper-centralisée, la monnaie fiduciaire est placée sous la seule autorité des États et des banques centrales. Pour la monnaie scripturale, seulement quelques acteurs bancaires majeurs se partagent la quasi-totalité du réseau. Les solutions numériques ont pu moderniser les usages. Cependant, en interne, un lourd travail de back office est notamment nécessaire pour s’assurer de la bonne tenue des registres des propriétés de titre, tel que l’ont démontré les chercheurs Alexis Collomb et Klara Sok. Ces processus complexes et fastidieux, incluant l’action de tiers de confiance, rendent d’autant plus onéreuses les transactions. Cette intermédiation est par ailleurs vue par certains informaticiens dont Nick Szabo comme une « faille de sécurité béante », quand près de la moitié des intermédiaires financiers (places boursières, banques, moyens de paiement) font l’objet chaque année de malversations – comme démontré par Alex Tapscott, analyste financier. À ceci, il est nécessaire d’ajouter le problème persistant de l’accès à un établissement bancaire, plusieurs milliards de personnes ne pouvant bénéficier aujourd’hui de services réellement performants voire de compte bancaire.

L’intégration au système financier n’est pas la même pour tous, notamment dans les pays en développement. En outre, tous les citoyens ne disposent pas de la même liberté et indépendance pour disposer de leurs économies, en particulier dans certains régimes autoritaires.

L’émergence du bitcoin a ainsi été vue comme une réponse tant à la crise de 2008 qu’à l’obsolescence du système financier actuel. Satoshi Nakamoto cite en effet ces errances, très explicitement, en introduction de son white paper :

« Le commerce (sur Internet) dépend aujourd’hui presque exclusivement d’institutions financières qui servent de tiers de confiance pour traiter les paiements électroniques. Bien que ce système fonctionne plutôt bien pour la plupart des transactions, il écope toujours des faiblesses inhérentes à son modèle basé sur la confiance. Les transactions totalement irréversibles n’y sont pas vraiment possibles, puisque les institutions financières doivent gérer la médiation de conflits. Le coût de cette médiation augmente les coûts des transactions, limitant en pratique la taille minimale d’une transaction et empêchant la possibilité d’avoir des petites transactions peu coûteuses. L’impossibilité d’avoir des paiements non réversibles pour des services non réversibles engendre un coût encore plus important. Avec la possibilité d’inverser les transactions, le besoin de confiance augmente. Les marchands doivent se méfier de leurs clients, en les harcelant pour obtenir plus d’informations que nécessaire. Une certaine part de fraudes est acceptée comme inévitable. Tous ces coûts et incertitudes de paiement peuvent être évités par l’utilisation d’une monnaie physique, mais aucun mécanisme n’existe pour réaliser des paiements à travers un système de communication sans avoir recours à un tiers de confiance. »

Aussi, le système bitcoin a porté l’idée d’une alternative à la dynamique du capitalisme contemporain, perçue à travers l’idée d’une collusion entre banques et gouvernements. Les crypto-actifs ambitionneraient de démocratiser la finance au sein d’espaces alternatifs (transnationaux) et de restituer aux individus ce bien commun qu’est la monnaie, notamment en en offrant une de qualité, c’est-à-dire imperméable aux éventuelles « manipulations » de la part de la banque centrale. Ils permettraient, selon leurs promoteurs, de contourner des intermédiaires jugés peu fiables ou trop onéreux, que ce soit en termes de coûts de transaction, de transparence, de droits de propriété ou de financement de projets.

Cependant, l’avènement de la blockchain et des crypto-actifs, en premier lieu desquels le bitcoin, n’est pas qu’un événement en réaction à cette crise contemporaine.

Une technologie issue de débats idéologiques anciens et de nombreuses expérimentations



La révolution d’Internet a permis la création d’un réseau d’échange d’informations mondialisé et dématérialisé, échappant au contrôle strict des États.

Il était fondé sur une double promesse : celle d’un meilleur accès à l’information et celle d’une individualisation des pratiques. Cependant, si ceci a permis une désintermédiation de nombreuses pratiques et la création d’une véritable économie du partage – logiciels open-source tels que Wikipédia – tous les pans de la société et de notre économie n’ont pas pu en profiter à la même hauteur.

Ainsi, les actifs financiers échangés sur Internet restaient toujours reliés à un intermédiaire tel que les établissements bancaires, tiers de confiance pour traiter les paiements électroniques (les monnaies étatiques restant l’étalon de référence). La monnaie échappait donc à la promesse d’Internet.

Cependant, au prétexte que cela soit une fonction éminemment régalienne, la monnaie devrait-elle rester du seul ressort de l’État ?

Plusieurs économistes et penseurs avaient en effet prophétisé depuis plusieurs décennies que cet état de fait ne serait pas éternel. Faisant le constat de la manipulation des cycles économiques par les autorités publiques, Mises et Hayek « ne croyai[en]t pas à un retour d’une monnaie saine tant que nous n’aurons pas retiré la monnaie des mains de l’État ». Hayek préconisait alors, dans The Denationalization of Money (1976), d’« introduire quelque chose que [l’État] ne pourrait pas stopper ».

De même, bien qu’en restant très réticent, Michel Foucault avait envisagé, dans Surveiller et Punir (1975), que (à un horizon non défini) le pouvoir moderne ne serait plus accompli par une personne mais par une fonction anonyme, automatique et universelle.

Le mouvement des « cypherpunks », souvent considérés comme les pères spirituels et techniques de Bitcoin, s’était également élevé contre ce principe, mettant également une deuxième cause en avant : celui du droit à la protection de la vie privée (et donc des transactions financières) contrevenant ainsi aux dérives d’Internet. Le Manifeste Crypto-Anarchiste, publié en 1992 par Tim May, comme le Manifeste du Cypherpunk d’Eric Hughes en 1993, forment une partie du corpus idéologique de ce mouvement. Comme indiqué dans un de ces manifestes, les cypherpunks souhaitent « modifier en intégralité la nature de la réglementation gouvernementale, la capacité de taxer et de contrôler les interactions économiques, mais aussi la capacité de conserver les informations secrètes ». Ils y exposent ainsi la manière dont le chiffrement des données, sur un réseau mondial, permettrait de rendre anonymes les discussions et échanges privés.

Ceci fait aussi écho aux propos du Professeur Lawrence Lessig, qui déclarait que, dans le cyberespace, « code is law », et de l’ingénieur Marc Andreessen – co-créateur du navigateur Mosaic – qui estimait que « les logiciels vont phagocyter le monde ». Il ira même, au moment de sa création, à comparer la révolution bitcoin à celle de l’apparition du PC, en 1975. Une révolution par ailleurs difficilement perceptible par les institutions, qui peinent toujours à penser le phénomène de « croissance exponentielle du progrès » exprimé dans la théorie de la singularité technologique du futurologue Ray Kuzweil, expliquant que des activistes et experts s’en soient saisis de prime abord.

Aussi, plusieurs tentatives de création d’un réseau décentralisé et cryptographié, où serait émise une monnaie sécurisée non rattachée à une banque centrale, ont émaillé la fin du XXe siècle.

Le bitcoin est l’expérience la plus aboutie de cette série de tentatives.

Les informaticiens Stuart Haber et W. Scott Stornetta sont aussi considérés par certains comme les inventeurs, 17 ans avant Satoshi Nakamoto, de la première blockchain. Non pas pour l’échange de crypto-actifs, mais pour proposer un système de certification par horodatage (archivage de documents notariés). Un white paper, retrouvé a posteriori, et daté de 1991, en témoigne. Cependant, un grand nombre de néophytes ont aussi tenté l’expérience.

Comme le rappellent Ludovic Desmedt et Odile Lakomski-Laguerre : « Dès le début des années 1980, David Lee Chaum entamait ses premiers travaux et proposait dès 1985 l’idée d’une monnaie cryptographique dans son article “Security without identification : transaction systems to make Big Brother obsolete” (Chaum, 1985). En 1990, Chaum peaufina son modèle et créa la première monnaie cash cryptographique préservant l’anonymat, connue sous le nom de "e-cash". Entre 1998 et 2005, c’est l’informaticien américain Nick Szabo qui développa une monnaie numérique décentralisée appelée « Bit Gold », fondée sur l’idée d’une ressource rare et disponible en quantité limitée à l’instar de la monnaie métallique. En 1998, le cryptographe Wei Dai développa le concept de "B-Money", un système de monnaie électronique distribué et anonyme. » S’il y a bien une démarche commune à tous ces projets, c’est l’ambition d’établir un système de paiement libéré de toute influence étatique, intraçable et désintermédié. Cependant, Wei Dai comme Szabo se sont toujours retrouvés confrontés à un problème de double dépense insoluble, là où Satoshi Nakamoto y est parvenu.

Une réponse aux nouvelles attentes de la société ? Transparence, communauté et confiance



La blockchain est un monde horizontal, où l’autorité au sens classique du terme ne saurait prévaloir.

Dans leur livre Blockchain, vers de nouvelles chaînes de valeurs publié en 2018, Martin Della Chiesa et ses coauteurs, reçus en audition, proposent une analyse intéressante du projet de société sous-jacent de la blockchain, symbolisé par la dialectique de « l’invisibilité et de la traçabilité ».

Comme ils l’énoncent, « la blockchain remplace l’incarnation de l’autorité. [Dans ce réseau], chacun est aussi souverain que les autres ». Cependant, ce refus de surveillance n’est pas réalisé au détriment de la transparence des opérations. En effet, le registre horodaté – blocs incrustés de gravures scripturales, assemblés sur la blockchain – alors produit, retrace de façon immuable les transactions réalisées entre opérateurs, et la chaîne de blocs constituée est publiquement accessible.

Aussi, la blockchain allie à la fois une volonté de protection de l’intimité face à une hyper-surveillance croissante (impliquant la création de blocs cryptographiés et de clefs/identifiants privés) et une volonté de transparence et traçabilité (avec l’accessibilité publique de l’entièreté des blockchains).

Ces deux principes sont au cœur de nos sociétés modernes qui, après une période d’hyper-consommation et hyper-communication, tendraient à voir émerger un nouveau paradigme économique et sociétal, se détachant de tout superflu et vers une individualisation des pratiques.

Sous l’effet des innovations technologiques, l’organisation de la société et la question du vivre ensemble évoluent également. De nouvelles communautés se créent alors.

David S. Evans et Richard Schmalensee démontrent dans l’ouvrage The New Economics of Multisided Platforms (De précieux intermédiaires aux éditions Odile Jacob Économie) qu’un nombre croissant de plateformes numériques qui émergent aujourd’hui n’ont plus vocation à permettre la vente d’un produit, mais plutôt de servir à mettre en relation plusieurs consommateurs ou citoyens. Airbnb, Blablacar, Facebook,… en sont d’illustres exemples. Les réseaux de pair-à-pair ont en effet transformé notre économie, pour renforcer sa dynamique réticulaire. Recréant du lien social par-delà les distances, les frontières et bien d’autres limites physiques, un nouveau maillage mondial – au-delà également des clichés de la mondialisation – est ici proposé.

La blockchain est donc aussi l’incarnation de cette promesse, dépassant les limites d’Internet. Elle propose en outre une nouvelle relation de confiance, basée sur le caractère infalsifiable et irrémédiable des échanges, ainsi que le protocole de validation, communément partagé et certifié par les nœuds. Un des slogans du bitcoin en témoigne : « In cryptography we trust ».


2. Les principes fondateurs du bitcoin



Les principes technologiques du bitcoin sont clairement résumés en introduction de son white paper, publié en 2008 :

« [Le bitcoin est] un système de monnaie électronique entièrement en pair-à-pair, qui permettrait d’effectuer des paiements en ligne directement d’un tiers à un autre sans passer par une institution financière.

« Le réseau horodate les transactions à l’aide d’une fonction de hachage qui les traduit en une chaîne continue de preuves de travail (des empreintes), formant un enregistrement qui ne peut être modifié sans ré-effectuer la preuve de travail.

« La plus longue chaîne (d’empreintes) sert non seulement de preuve du déroulement des événements constatés, mais également de preuve qu’elle provient du plus grand regroupement de puissance de calcul.

« Aussi longtemps que la majorité de la puissance de calcul (CPU) est contrôlée par des nœuds qui ne coopèrent pas pour attaquer le réseau, ils généreront la plus longue chaîne et surpasseront les attaquants. Le réseau en lui-même ne requiert qu’une structure réduite. Les messages sont diffusés au mieux, et les nœuds peuvent quitter ou rejoindre le réseau à leur gré, en acceptant à leur retour la chaîne de preuve de travail la plus longue comme preuve de ce qui s’est déroulé pendant leur absence.

« Est alors construit un système de paiement électronique basé sur des preuves cryptographiques au lieu d’un modèle basé sur la confiance. »

Nous ne reviendrons pas en détail dans ce rapport sur tous les détails techniques de fonctionnement de la blockchain Bitcoin – celle-ci ayant fait l’objet d’une analyse plus détaillée dans le cadre de la mission d’information dont Mme Laure de la Raudière et M. Jean-Michel Mis sont les rapporteurs. Cependant, nous nous concentrerons sur les principaux éléments intrinsèques et novateurs.

Un nouveau système d’échanges, de pair-à-pair



Innovation majeure : la blockchain est tout d’abord un réseau de pair-à-pair. Elle se passe ainsi de tiers de confiance, et fonctionne sur le modèle d’un réseau décentralisé. Un utilisateur A, peut ainsi envoyer directement un message (contenu dans un bloc) à un utilisateur B. La transaction est signée numériquement avec la clef unique et personnelle de A pour en attester l’authenticité, et validée par un nœud du réseau qui entérine la transaction.


Fonctionnement d'une blockchain


Source : Blockchain France


Un registre immuable, cryptographié, décentralisé et accessible à tous



Ces échanges sont conservés au sein d’un grand registre immuable, distribué et public. En effet, l’ensemble des blocs au sein desquels sont inscrites les transactions opérées est rassemblé sur une blockchain. Celle-ci représente ainsi une grande base de données où sont enregistrées toutes les opérations réalisées depuis son lancement.

La validation d’un bloc s’opère via un « minage », qui le scelle définitivement dans la blockchain. Chaque bloc comprend plusieurs transactions, elles-mêmes indiquées par : la clé publique/identifiant de l’émetteur de la transaction, le montant de la transaction et la clé publique/identifiant du récepteur de la transaction, la date et l’heure de la transaction. Ces données sont ensuite « hashées », pour être transformées en une suite de hash, qui constitue une empreinte numérique unique incluse dans le bloc suivant. Cette procédure rend toute opération irréversible. À noter que tout bloc N est lié au précédent par une empreinte cryptographique du bloc N-1 qu’il a intégré ; sa place dans la chaîne est ainsi inscrite dans son code, ne pouvant être ni interchangée ni supprimée.

En outre, cette chaîne n’est pas détenue dans un endroit unique (comme ce pourrait être le cas dans le système bancaire) mais est accessible à l’ensemble des nœuds – d’où le nom de distribué, chaque nœud l’ayant répliqué. Chaque bloc miné est transmis à tous les nœuds (et donc accessible à tout mineur). Il s’agit d’une gestion collaborative, qui prévient contre le piratage. Avant chaque nouvelle transaction, de B vers C par exemple, il est ainsi possible d’interroger l’historique et de vérifier – par retour sur la blockchain – que B dispose bien de la valeur à transférer et que celle-ci n’a pas été dépensée deux fois.


Création d'un bloc



Ce réseau est par ailleurs public, et donc très transparent. Disponible sur le réseau, accessible à tous, chacun peut ainsi le consulter à tout moment, ce qui garantit une traçabilité, même pour tout acteur extérieur. Chaque participant dispose d’un pseudonyme, aussi appelé « clef publique », visible par tous.



Une traçabilité des échanges, basée sur un système pseudonymique



Chaque utilisateur, dispose, sur la blockchain, de deux numéros pour son compte, aussi appelés deux clefs : une clef publique et une clef privée. Il s’agit d’un principe de chiffrage asymétrique qui permet de sécuriser les échanges tout en les rendant totalement traçables.

La clef privée (que seul l’utilisateur connaît) permet de signer/crypter une transaction tandis que la clef publique (agissant comme un pseudo) permet de suivre cette transaction sur la blockchain. Ainsi, la transaction est garantie par le fait que la clef privée atteste de la véritable propriété des actifs échangés par l’utilisateur, et la clef publique permet de retrouver, sur la blockchain, tous les échanges d’actifs que l’utilisateur a réalisés.

Une traçabilité des actifs en circulation peut donc être effectuée, tout en gardant l’anonymat du détenteur (ce qui constitue cependant un des principaux griefs contre la blockchain et les crypto-actifs, sur lequel nous reviendrons).

Un protocole de validation par consensus et qui auto-sécurise la blockchain : le « proof-of-work »



Le système de validation de ces échanges est lui aussi très novateur. Il est en effet réalisé par consensus sur la validité des transactions. Ce mécanisme est dénommé la preuve de travail(« proof-of-work »). Les opérations de « hashage » et de validation des blocs, précédemment expliquées, impliquent la résolution d’un calcul mathématique très complexe, qui nécessite une grande capacité de calcul informatique, et qui est du ressort des mineurs. Tous les mineurs peuvent être candidats à la validation d’une transaction ou d’un bloc. Comme expliqué par le site bitcoin.fr : « l’épreuve consiste donc, pour une chaîne alphanumérique donnée, à y ajouter une chaîne alphanumérique aléatoire jusqu’à ce que le hash de l’ensemble soit inférieur à un seuil donné. Ce seuil est mis régulièrement et automatiquement à jour pour que l’intervalle moyen entre deux blocs reste de dix minutes » (pour le bitcoin). Le premier mineur à résoudre ce problème mathématique est autorisé à créer le bloc. Afin de maintenir cette création à un rythme régulier, le niveau de difficulté est adapté tous les 2 016 blocs (environ 15 jours).

La preuve de travail rend les tentatives de piratage difficiles, car devenir la première puissance de calcul est extrêmement coûteux. Ceci protège des tentatives de spams pour surcharger le réseau. L’identification du mineur-pirate est par ailleurs facile : falsifier la blockchain – qui nécessite de rassembler plus de 50 % de la puissance de calcul totale du réseau – revient à détruire son investissement matériel et à s’exclure du réseau. Il reste donc plus rentable de participer au développement de la blockchain que de pirater le système.

En outre, la validation d’une transaction est associée à une récompense pour les mineurs. Pour la blockchain Bitcoin, il s’agit d’une récompense en bitcoins. Celle-ci comprend le montant des frais de transaction et une somme prédéfinie de bitcoins créés à l’occasion de la validation. Au lancement de la chaîne, il s’agissait d’une rétribution de 50 bitcoins par bloc. Elle est divisée par deux tous les 210 000 blocs, c’est-à-dire environ tous les quatre ans. Aujourd’hui la récompense est de 12,5 bitcoins/bloc. En 2140, quand le dernier bitcoin aura été émis, le minage ne sera plus rémunéré que par les frais associés aux transactions des utilisateurs du réseau. Cette caractéristique fait du bitcoin une valeur déflationniste, dont l’offre maximale est limitée à 21 millions et dont la vitesse d’émission diminue. Il faut noter ici que 17 millions de bitcoins avaient déjà été minés en avril 2018, soit 80 % du total. Ce sont à la fois la puissance de calcul nécessaire et le fonctionnement incitatif qui sécurisent le protocole.




Une disruption technologique pérenne ?



Est-ce vraiment novateur ?



Nous l’avons évoqué, la première blockchain qu’est Bitcoin est en fait une association de techniques existantes. Il est à ce titre parfois évoqué qu’il ne s’agit pas d’une réelle innovation en soi, mais davantage de l’aboutissement de plusieurs autres. En tout état de cause, Satoshi Nakamoto a réussi une combinaison de performances techniques que nul n’était parvenu à réaliser précédemment.

Aussi, l’engouement pour la blockchain a conduit à un usage parfois abusif du terme, adoubant des projets qui n’en sont pas véritablement (ex. : base de données en registres distribués), qui existent déjà depuis plusieurs années. Cela ne correspond ainsi pas à la promesse de décentralisation complète, des usages et de la gouvernance – tel que le notent Laure de la Raudière et Jean-Michel Mis dans leur rapport (page 18). C’est notamment le cas des blockchains privées ou semi-ouvertes, où seuls les nœuds autorisés peuvent valider les transactions, ce qui permet de re-centraliser la gouvernance et surtout d’apporter des gains en termes de productivité et de transmission d’informations.

À l’inverse, dans les blockchains ouvertes, tous les nœuds sont considérés et de réels échanges d’actifs peuvent être opérés. Dans ce cas, ses apports sont considérables. La création d’un réseau de pair-à-pair, distribué et horodaté, empêchant les transactions doubles, est en effet inédit (tel qu’évoqué en sous-partie précédente).

La blockchain, un phénomène de mode ? Tel que cela a pu être envisagé pour Internet, certains acteurs estiment que la blockchain n’est pas une réelle révolution technologique. Force est de constater que, au vu de son protocole, ce seront les utilisateurs qui en décideront. En effet, la confiance qui lui est accordée et donc sa pérennité sont assurées par son usage, et – paradoxalement – par les attaques à son encontre. Chaque action la renforce, permettant d’extrapoler la loi de Say qui dispose que « toute offre crée sa propre demande ». C’est ainsi que Nassim Nicholas Taleb, professeur en mathématiques financières, qualifia Bitcoin comme « une entité antifragile ». En effet, plus le système est attaqué, plus il se renforce.

Cependant, des problèmes structurels et technologiques nécessiteront en effet d’être réglés, pour que la blockchain continue d’être attractive.

Le perpétuel débat de l’empreinte environnementale des crypto-actifs



Parmi les reproches qui sont faits à la blockchain, la forte consommation énergétique du minage est régulièrement pointée du doigt.

En effet, l’importante puissance de calcul nécessaire pour valider les transactions dans le cadre d’un système de validation fondé sur la preuve de travail induit une importante consommation d’électricité pour les mineurs.

Nous n’entrerons pas ici dans la bataille des chiffres. Cependant, si cette question doit être très sérieusement envisagée au vu de son impact potentiel sur l’environnement, force est de constater que ceux-ci sont souvent très approximatifs. Certains estiment une consommation annuelle de 21 milliards de kilowattheures (kWh) par an quand d’autres en estiment le double, allant jusqu’à 52 TkWh par an.

En outre, deux écoles s’affrontent (pro et anti-blockchain), arguant d’un côté qu’on ne connaît pas le véritable coût du système bancaire actuel (distributeurs et offices, transports de fonds, impression de billets compris) et que l’innovation « vaut » ce coût environnemental élevé ; tandis que l’autre camp remet en cause l’intérêt même de la technologie.

Un fait intéressant, potentiellement source de solution, est toutefois à noter : cette empreinte environnementale n’est pas intrinsèque à la technologie mais au protocole de validation des blocs choisi pour chaque blockchain. Ainsi, un changement de protocole pourrait, demain, conduire à un minage moins énergivore.

C’est notamment pour cela que de nouveaux protocoles tels que le « proof-of-stake » (que nous évoquerons en sous-partie suivante), dont l’empreinte énergétique est quasiment nulle, ont été mis en place. À ce titre, ces méthodes de validation moins consommatrices de puissance de calcul représentent de façon incontestable une voie d’avenir vers une production de crypto-actifs plus soutenable d’un point de vue écologique.

Par ailleurs, les mécanismes ne nécessitant pas de minage comme les levées de fonds via l’émission de jetons numériques (ICO) sont également un mode de production de crypto-actifs, qui ne présente pas de consommation énergétique significative. Il en est de même pour les blockchains privées qui ne demandent pas de validation par proof-of-work, et donc pas de puissance de calcul importante.

Des enjeux de performance liés à une technologie immature : « scalabilité » et processus de validation des chaînes, pour améliorer le délai de transaction



Le réseau Bitcoin s’est très rapidement retrouvé confronté à une difficulté : celle du temps nécessaire à la validation des opérations. On parle communément d’une problématique de « scalabilité » (mise à l’échelle). En effet, la taille des blocs Bictoin (pouvant contenir un mégaoctet, soit approximativement 3 000 transactions/bloc) et l’intervalle de temps défini par le protocole entre la validation de deux blocs (10 minutes, soit 7 transactions/seconde), sont très éloignés de ceux des réseaux de paiement tels que Mastercard ou Visa (qui peuvent traiter jusqu’à 56 000 transactions/seconde, pour une moyenne de 4 000). Le réseau Bitcoin connaît ainsi fréquemment un phénomène de saturation : en moyenne, la taille d’un bloc a atteint 99,9 % de sa taille maximale durant les derniers mois de 2017.

Là aussi, cette limite n’est cependant pas intrinsèque à la technologie mais résulte d’un choix initial, entre volume de transactions ou sécurité. Des évolutions peuvent être réalisées afin d’essayer d’améliorer la « scalabilité » de la blockchain, c’est-à-dire sa capacité à supporter un nombre croissant de transactions. Cependant le protocole de consensus, qui assure la sécurité et validité des transactions, serait par ailleurs remis en cause. En effet, comme évoqué, le proof-of-work, nécessite une très grande capacité de calcul et n’est pas forcément partagé par tous.

Ainsi, afin de faire évoluer les performances de la technologie, d’autres types de systèmes de validation ont ainsi vu le jour, tels que :

– la proof-of-stake (preuve d’enjeu) : la sélection du mineur est aléatoire mais pondérée par la quantité de crypto-actifs possédés par celui-ci ;

– la proof-of importance (preuve d’importance) : la sélection est faite selon l’utilisation de la blockchain, l’ancienneté, la quantité de monnaie possédée et/ou autres critères ;

– la proof of activity (preuve d’activité) : sélection réalisée selon l’activité effective du mineur, pour encourager à utiliser la blockchain ;

– proof-of-capacity (preuve de capacité) : sélection selon la capacité de stockage du mineur au lieu de sa puissance de calcul.

Tous ces protocoles sont choisis au moment du lancement d’une nouvelle blockchain ou de l’évolution d’une blockchain existante. Ces évolutions sont généralement issues de solutions « off chain » additionnelles ou de forks (un embranchement).

Les solutions off chain visent à créer des chaines de blocs latérales (side chains), interagissant avec la chaine principale. Disposant de leurs propres règles, elles permettent généralement d’accroître la rapidité des transactions. Le lightning network, créant ainsi une surcouche micro-transactionnelle pour réaliser de micropaiements instantanés, en est un exemple.

L’autre possibilité, les forks (ou solution « on chain »), se subdivise entre hard fork et soft fork. Il s’agit de modifications compatibles (en cas de soft fork) ou incompatibles (hard fork) avec la chaîne principale.

Si l’on reprend l’exemple de Bitcoin, au vu des contraintes précitées en termes de scalabilité, plusieurs scénarios sont envisageables : soit celui-ci continue à être amélioré grâce à la recherche technique, soit d’autres chaînes combleront ses failles ou le dépasseront. Une partie des acteurs du réseau considérant que la vocation originelle du bitcoin est de servir de moyen d’échange, un hard fork (c’est-à-dire une bifurcation, conduisant à un changement des règles du protocole, non compatible avec l’ancien) a eu lieu sur la chaîne du bitcoin durant l’été 2017 et a donné naissance à un nouvel actif, le bitcoin cash (BCH), dont la taille des blocs atteint non plus 1 mégaoctet, mais 8 mégaoctets, limitant les problèmes d’engorgement et la hausse des frais de transaction, même si cela reste loin des performances des systèmes classiques.


Changement de protocole : hard forks et soft forks



La technologie est donc en perpétuelle évolution. De nouvelles chaînes se créent régulièrement, notamment privées, ce qui nous mène aujourd’hui à un grand nombre de crypto-actifs, concurrentes parfois, complémentaires souvent.

C’est ce que, dès 2010, Hal Finney – qui fut un des premiers développeurs de Bitcoin – évoquait : « Bitcoin lui-même ne peut atteindre une échelle permettant que chaque transaction dans le monde soit diffusée à chacun et inscrite dans la blockchain. On a besoin d’un niveau complémentaire de système de paiement qui soit plus léger et efficace », à l’image de http pour le web, SMTP pour les mails et FTP pour le transfert de fichiers.

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