Le régime fiscal des crypto-monnaies encore imprécis et disparate

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Comme cela a été évoqué précédemment, le manque de lisibilité juridique relatif aux crypto-actifs a un impact sur le traitement comptable et le régime fiscal y afférent, qu’il s’agisse des particuliers et ou des entreprises. Les deux instructions fiscales de 2014 se révèlent être inadaptées à l’évolution des cas d’usage ainsi qu’au développement de nouveaux types d’actifs numériques, mettant en difficulté les avocats spécialistes et les experts-comptables dans l’interprétation des multiples situations de leurs clients.

Afin d’appréhender ces enjeux, il convient ici de dissocier les problématiques auxquelles sont confrontées les personnes physiques et les personnes morales.


Régime fiscal afférent aux particuliers réalisant des opérations en crypto-actifs



Régimes des plus-values réalisées en crypto-actifs



Une instruction a été publiée au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) daté du 11 juillet 2014, précisant le régime fiscal applicable aux bitcoins. Celle-ci indique que les gains tirés par les particuliers de la vente d’unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique (notamment les bitcoins), lorsqu’ils sont occasionnels, sont soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), aux termes de l’article 92 du code général des impôts.

Si l’activité est exercée à titre habituel, les gains tirés de la vente relèvent du régime d’imposition des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), en application de l’article 34 du code général des impôts. Ainsi, les gains tirés de ces opérations de cession pouvaient être assujettis à un taux marginal maximum de 45 %, conformément au barème de l’impôt sur le revenu.

L’instruction fiscale précise que « les gains sont imposables, quelle que soit la nature des biens ou valeurs contre lesquels les bitcoins sont échangés », c’est-à-dire que les bitcoins soient échangés contre des euros, ou qu’ils servent à l’acquisition de biens de toute nature. Dans ce dernier cas, le gain est déterminé par l’administration fiscale par référence à la valeur en euros du bien acquis.

Toutefois, une décision du Conseil d’État en date du 26 avril 2018 a prononcé l’annulation partielle de l’instruction fiscale relative à l’assujettissement des gains à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BNC et BIC pour les crypto, insérée au BOFiP le 11 juillet 2014.

Le Conseil d’État dans son considérant a décidé que les unités de « bitcoin » ont le caractère de biens meubles incorporels et que les profits tirés de leur cession par des particuliers relèvent en principe du régime des plus-values de cession de biens meubles de l’article 150 UA du code général des impôts. En l’espèce, cela a eu pour incidence que les plus-values réalisées sont imposées au taux forfaitaire de 19 % prévu à l’article 200 B du code général des impôts, auquel il convient d’ajouter les prélèvements sociaux dont le taux s’élève à 17,2 %, soit un total de 36,2 %.

Le régime des plus-values de cession de biens meubles

Les plus-values réalisées au titre des cessions dont le montant est inférieur à 5 000 euros sont exonérées d’impôt.

Lorsque le prix de cession excède 5 000 euros, le taux d’imposition fixe de 19 % est appliqué. À cela, il faut ajouter les prélèvements sociaux de 17,2 % et potentiellement la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 3 % ou 4 %. L’imposition globale peut donc s’élever à 40,2 %.

La plus-value imposable est par ailleurs réduite de 5 % par année au-delà de deux ans. La plus-value est donc définitivement exonérée au terme d’un délai de vingt-deux ans.

Les moins-values éventuelles ne sont pas imputables sur les plus-values.

Cependant, le Conseil d’État a estimé que le principe pouvait être renversé « lorsque les opérations de cession, eu égard aux circonstances dans lesquelles elles interviennent, entrent dans le champ de dispositions relatives à d’autres catégories de revenus », entraînant l’assujettissement au barème de l’impôt sur le revenu. Cela visait par exemple les opérations de cession :
– qui sont la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement de ce système d’unité de compte virtuelle (comme le minage) – application du régime BNC ;
– ou résultant d’acquisitions à titre habituel d’unités de bitcoin en vue de leur revente, y compris lorsque la cession prend la forme d’un échange contre un autre bien meuble, dans des conditions caractérisant l’exercice d’une profession commerciale – application du régime BIC.

À cet égard, la décision du Conseil d’État a conduit à un traitement fiscal, par principe, plus favorable des gains tirés de la cession de bitcoins par des particuliers, dans le cas où ces derniers sont soumis à des tranches élevées du barème de l’impôt sur le revenu.

Néanmoins, le régime fiscal restait moins attractif que celui applicable aux revenus de capitaux mobiliers, gains et profits assimilés, qui bénéficient du prélèvement forfaitaire unique avec un taux global de 30 %, incluant les prélèvements sociaux. En l’état, il restait également bien moins attrayant que les régimes proposés en la matière par nos pays voisins comme le démontre le tableau comparatif ci-dessous.




En outre, si elle devrait pouvoir s’appliquer aux crypto-actifs ayant des caractéristiques similaires au bitcoin, la décision du Conseil d’État ne visait que le régime fiscal applicable à ces derniers, conformément à l’objet de l’instruction fiscale dont l’annulation était demandée. Cette décision laissait un vide juridique partiel pour toutes les opérations relatives à d’autres crypto-actifs.

Le Conseil d’État par ladite décision ne permettait pas non plus une véritable simplification du traitement fiscal des gains tirés de la cession de bitcoins par des particuliers, dans la mesure où il retenait l’application de trois régimes distincts selon les cas de figure. Ainsi, un particulier obtenant des crypto-actifs grâce à l’apport de sa contribution à la blockchain – minage –, et qui procédait ensuite à l’échange de ces crypto-actifs contre d’autres crypto-actifs ou contre une monnaie ayant cours légal se voyait assujetti :
– au régime BNC pour son activité de minage ;
– au régime des plus-values de cession sur bien meuble pour son activité de « trading » si cette dernière était exercée à titre occasionnel ;
– ou au régime BIC si cette activité était exercée à titre habituel et/ou si l’échange avait eu lieu contre d’autres crypto-actifs.

Soulignons ici, que la décision du Conseil d’État ne caractérisait pas les notions d’activité « occasionnelle » ou « habituelle », plaçant les contribuables dans l’incertitude quant au régime auquel ils seraient assujettis.

Aussi, la décision du Conseil ne permettait pas d’imputer les éventuelles moins-values réalisées sur les plus-values soumises à l’impôt. En cela, il ne tenait pas compte du caractère volatil des crypto-actifs, provoquant des situations dans lesquelles les détenteurs de crypto-devises pouvaient se voir imposés sur une plus-value dont ils ne disposaient plus. Cette problématique s’était notamment révélée lors de la variation brutale des cours du bitcoin entre fin 2017 et début 2018. Certains contribuables s’étaient vus redevables en 2018 d’un impôt sur leur plus-value 2017 parfois supérieur à la valorisation de leur portefeuille au moment du paiement, ce qui soulevait également la question du fait générateur de l’impôt.

Le même type de problématiques intervient pour un particulier qui, après avoir effectué une plus-value sur ses crypto-actifs, souhaite investir dans une ICO. Il serait alors immédiatement redevable de l’impôt sur sa plus-value latente alors qu’au moment de leur acquisition, les tokens n’ont qu’une valeur potentielle future. Cette situation démontre en outre la difficulté que représente la prise en compte des opérations de crypto-actifs à crypto-actifs dans la détermination annuelle de l’impôt.

En outre, faut-il ajouter les difficultés de valorisation des actifs détenus en raison de l’absence de cours officiel (le prix, exprimé en monnaies fiat, des différents crypto-actifs varie ainsi d’un pays à l’autre et même d’une plateforme à l’autre) ainsi qu’en l’absence d’historique détaillé des transactions sur certaines plateformes de change. À ce titre, les contribuables se trouvent face à la tâche complexe du calcul de leur plus-value, notamment lorsqu’ils disposent de plusieurs comptes en crypto-actifs.

Les différents points de blocage évoqués témoignent, bien qu’allant dans le bon sens, d’une relative inadéquation de l’arrêt du Conseil d’État avec les pratiques des détenteurs de crypto-actifs ainsi qu’avec la réalité du secteur.

Quel traitement fiscal pour les apports de crypto-actifs à une société ?



Lors des auditions menées pour la mission, la fiscalité relative à l’apport de crypto-actifs à une société a régulièrement été évoquée au rapporteur. En effet, une telle opération constitue un transfert de propriété entre le cédant – personne physique – et le cessionnaire – personne morale –, induisant le fait générateur de l’impôt. Dans les faits, l’apport de crypto-actifs à une personne morale oblige donc le contribuable qui souhaite lancer son entreprise à s’acquitter d’abord, auprès l’administration fiscale, de l’ensemble des plus-values latentes réalisées à titre personnel alors même qu’il ne recevrait pas de liquidités en contrepartie de son apport.

Cette situation constitue un réel obstacle au lancement d’une activité qui incite les investisseurs à conserver leurs crypto-actifs plutôt qu’à les réinvestir dans l’économie réelle. Le dispositif actuel génère également une fuite de nos talents et de nos capitaux qui préfèrent s’établir en dehors de nos frontières, notamment lorsque les plus-values n’y sont pas imposées. L’exemple du Portugal a été de nombreuses fois évoqué, le taux d’imposition d’une telle opération étant nul.


Régime fiscal afférent aux personnes morales



Actuellement, les personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés sont imposées à hauteur de 28 % sur leurs bénéfices en deçà de 500 000 euros (avec application d’un taux réduit de 15 % jusqu’à 38 120 euros pour les PME détenues par des personnes physiques) et à 33,33 % (ou un tiers) au-delà.

Néanmoins, le flou relatif au régime juridique des crypto-actifs induit des questionnements comptables. Lors des auditions, la profession a évoqué les difficultés à se prononcer sur la manière dont les entreprises doivent comptabiliser leurs crypto-actifs.

Une absence de position formelle en matière de fiscalité applicable aux gains tirés des opérations de cession par les professionnels



Les gains tirés de l’achat-revente de crypto-actifs constituent des produits imposables dans les conditions du droit commun. De même, l’opération consistant en la conversion de crypto-actifs en euros, ou en l’échange de crypto-actifs contre des biens et services est susceptible de générer une plus-value imposable.

L’échange entre crypto-actifs déclenche ainsi en principe l’imposition d’un gain d’échange dans les conditions du droit commun, à l’impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises soumises à l’IS et dans la catégorie des BIC pour les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu.

Toutefois, l’administration fiscale n’avait jusque-là pris aucune position formelle concernant le traitement fiscal des gains tirés d’opérations de cession de crypto-actifs réalisées par les professionnels en l’absence de règle relative à la comptabilisation des crypto-actifs par l’Autorité des normes comptables (ANC).

Un flou juridique renforcé en matière de fiscalité applicable au cas spécifique des Initial Coin Offerings (ICO)



L’absence de cadre normatif comptable a eu pour incidence que l’administration fiscale n’a pas non plus pris de position formelle s’agissant du traitement fiscal applicable aux jetons émis au moyen d’une ICO. L’interprétation choisie peut pourtant avoir de lourdes conséquences sur le développement du projet de l’émetteur.

Sur le plan comptable, la contrepartie des opérations est difficile à évaluer au moment de l’échange, notamment pour déterminer ce qui relève du chiffre d’affaires ou non. En effet, il apparaît difficile de considérer une ICO pas encore lancée comme un chiffre d’affaires dans la mesure où cela peut entraîner des cas d’imposition alors que l’activité des émetteurs n’a pas encore commencé et qu’ils n’en connaissent pas les débouchés.

La même problématique se pose pour la collecte de la TVA. En effet, si l’entreprise doit collecter la TVA au moment de la vente de ses tokens, elle se voit dans l’incapacité d’en déduire la TVA acquittée dans le cadre du développement de son activité – par exemple, pour l’achat d’équipements – comme cela est le cas pour une entreprise dite classique. En outre, le produit ou le service n’étant pas finalisé, ses caractéristiques sont susceptibles d’évoluer au cours de la production. L’émetteur pourrait donc avoir collecté la TVA à taux plein au moment de l’émission pour un produit ou un service qui, une fois le projet finalisé, aurait peut-être été éligible à un taux réduit de TVA. À l’heure où une majorité des entités françaises lançant une ICO émettent des utility tokens soumis à la TVA et où les entreprises réalisent des « études de marché fiscales » dans différents pays, cette situation représente un obstacle supplémentaire.

Au regard de ces constats, il résulte que l’émission des jetons en tant qu’élément déclencheur de la fiscalité semble en décalage avec la réalité financière et économique de l’entreprise à son lancement.

Par ailleurs, lors du lancement d’une ICO, il est courant que des jetons soient attribués gratuitement aux contributeurs du projet. De plus en plus d’entreprises blockchain rémunèrent d’ailleurs leurs salariés partiellement en crypto-actifs. Par conséquent, il est illusoire de penser que nous enrayerons ce phénomène alors que le secteur se développe plus rapidement qu’Internet en son temps.

En l’état actuel, les jetons attribués à titre gratuit sont imposables au moment de leur attribution, ce qui pose plusieurs problématiques :
– dans la mesure où le jeton n’est pas immédiatement offert au public, une certaine difficulté apparaît dans la détermination de la valeur retenue dans le calcul de l’impôt ;
– l’imposition d’un jeton qui, durant la phase de développement du projet, n’a que peu de valeur et qui est, en outre, inutilisable pour son bénéficiaire, paraît difficilement justifiable.

Il apparaît donc nécessaire de clarifier le régime auquel sont soumis les tokens attribués à titre gratuits.

Une start-up se finançant par crypto-actifs fait ainsi face à au moins deux risques. Le premier est la volatilité liée au cours de ce crypto-actif. Le deuxième est le risque comptable et fiscal : dans certains cas, l’émetteur rencontre des difficultés afin de déterminer avec précision le montant disponible en monnaie fiat qui a été levé.


Fiscalité des mineurs



Les personnes exerçant une activité de minage sont également confrontées à des obstacles d’ordre fiscal dans l’exercice de leur activité.

Problématique de la double collecte de la TVA



En premier lieu, les mineurs font, au même titre que les émetteurs d’ICO, l’objet d’une double collecte de la TVA. En effet l’activité de minage serait assujettie à la TVA si l’on considère qu’elle représente des « prestations de services effectuées à titre onéreux » comme en dispose l’article 256 du code général des impôts. À ce titre, les mineurs auraient également la possibilité de déduire la TVA acquittée, notamment sur l’achat des équipements nécessaires à l’exercice de leur activité.

Cependant, la spécificité de l’activité induit que les mineurs n’ont pas la possibilité de répercuter la TVA collecté sur le consommateur final comme pourrait le faire une entreprise classique. Ils ne peuvent en effet obtenir de facture de la part de leurs fournisseurs, ceux-ci étant constitués des mineurs eux-mêmes et des utilisateurs réalisant des transactions sur le réseau.

Cette taxe peut représenter un poids important et dissuasif pour un mineur individuel qui tire de faibles revenus de cette activité, notamment lorsque le cours des crypto-actifs est bas.

Pour autant, la thématique de la TVA pour les mineurs pose une double difficulté car si un choix politique pourrait viser à exonérer l’activité de TVA, les mineurs ne pourraient plus en déduire celle acquittée sur leurs acquisitions. À ce titre, une exonération de TVA pour les mineurs pourrait, dans bien des cas, s’avérer plus désavantageuse qu’un simple assujettissement.

Les problématiques d’une non-reconnaissance en tant qu’activité électro-intensive



La France compte aujourd’hui un faible nombre de sociétés de minage en raison du coût de l’électricité, jugé non rentable pour l’activité. En effet, la consommation d’électricité représente 95 % du coût de production des mineurs. Cette activité devrait donc pouvoir être pleinement reconnue comme une industrie électro-intensive et bénéficier des avantages fiscaux qui y sont associés, tels que prévus à l’article 266 quinquies C du code des douanes.

Cependant, cette détermination dépend du code d’activité principale exercée (code APE), délivré à l’entreprise par l’Insee. Or, l’activité de minage n’étant pas clairement répertoriée, certaines entreprises se voient attribuer un code APE qui ne correspond que partiellement à leur métier, par exemple en « prestation de services ». Au-delà de l’incertitude juridique que représente cette situation pour ces sociétés de minage, elle rend également la France peu compétitive en termes de coût de l’électricité. En effet, nous avons un coût de l’électricité autour de 9 à 10 centimes par kilowattheure alors que les sociétés de minage estimaient fin 2018, qu’il n’était plus rentable de miner au-dessus de 5 centimes du kilowattheure en raison des faibles cours des crypto-actifs.

Avoir des sociétés de minage en France représente pourtant un enjeu stratégique à long terme, notamment pour la protection de nos données. Il pourrait paraître incohérent de souhaiter faire de la France une terre d’accueil de la blockchain sans développer les infrastructures qui y sont associées sur le territoire.


Clarifier le cadre comptable et fiscal



À l’échelle française, la première incertitude qu’il semblait urgent de lever est celle de la fiscalité. Les régimes en vigueur jusqu’alors étant inadaptés à la réalité opérationnelle des crypto-actifs ainsi qu’à leur degré de maturité. Il s’agit en outre de difficultés qui touchent l’ensemble des contribuables, aussi bien en tant qu’investisseurs particuliers, mineurs ou personnes établies en sociétés. Opter pour le statu quo en matière fiscale serait en désaccord avec le vœu d’une nation attractive pour les acteurs de ce secteur en pleine structuration.

À ce titre, les avancées obtenues dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 s’avèrent primordiales, bien qu’incomplètes.

Régime fiscal afférent aux particuliers réalisant des opérations en crypto-actifs



Tout d’abord, une clarification et une simplification du traitement fiscal des gains tirés de la cession de crypto-actifs par les particuliers s’imposaient.

Proposition 3 : En termes de taux d’imposition, retenir celui applicable aux revenus de capitaux mobiliers, gains et profits assimilés.

Ainsi, par amendements au projet de loi de finances pour 2019, a été adopté l’assujettissement des plus-values sur les opérations en crypto-actifs effectuées à compter du 1er janvier 2019, à un taux d’imposition de 12,8 % auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux à hauteur de 17,2 % ; soit une taxe forfaitaire totale de 30 % comparable au taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU dit flat tax).

Au regard des rapprochements avec d’autres pays régulièrement évoqués, le rapporteur est conscient que le taux forfaitaire retenu ne fera pas l’unanimité. Il tient toutefois à relever que, techniquement, seul le taux de 12,8 % devrait être retenu dans ces approches comparatives puisqu’il concerne directement l’imposition des crypto-actifs. Les 17,2 % correspondant aux prélèvements sociaux, eux, ont trait à la spécificité de notre modèle de protection sociale et des services associés qui ne trouvent pas d’égal chez nos pays voisins.

Passant du barème de l’impôt sur le revenu – allant jusqu’à une tranche de 45 % – à un taux fixe de 12,8 %, l’alignement de la fiscalité des crypto-actifs à celle des revenus du capital accroit, de fait, l’attractivité de la France par rapport à la situation préexistante. Ce régime a vocation à inciter au dénouement d’opérations de cession, qui étaient jusqu’ici repoussées ou retardées, compte tenu d’un traitement fiscal instable et perçu comme dissuasif par de nombreux acteurs.

En outre, le régime fiscal afférent à la flat tax a été adapté aux crypto-actifs afin de tenir compte de leurs spécificités. Ce régime ad hoc dénommé « cash-in/cash-out » dans le secteur, prévoit :
– l’exonération des opérations de change entre crypto-actifs ;
– l’alignement du calcul des plus-values imposables sur celui appliqué dans le cadre d’un plan d’épargne en actions (PEA). La plus-value en crypto-actifs est donc égale à « la différence entre, d’une part, le prix de cession et, d’autre part, le produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille de crypto-actifs par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille » ;
– la prise en compte des biens et services échangés contre des crypto-actifs dans les prix d’acquisition et de cession, encourageant, de fait, l’usage des crypto-actifs comme moyen de paiement ;
– l’imputation des moins-values en crypto-actifs sur les plus-values réalisées la même année. Il semble opportun de préciser que la valeur totale du portefeuille étant « photographiée » à chaque cession, les moins-values réelles seront inéluctablement incluses dans la plus-value nette prise en compte pour le calcul de l’impôt, sans qu’il soit nécessaire de les reporter sur les années suivantes.

L’opportunité d’une application de la taxe forfaitaire sur les métaux précieux ?



En audition, l’idée a été soumise aux membres de la mission d’information d’assujettir les crypto-actifs à la taxe forfaitaire sur les métaux précieux, compte tenu notamment de la qualification du bitcoin comme « or numérique », de la souplesse et de l’attractivité de ce régime fiscal.

Le régime d’imposition des métaux précieux est défini aux articles 150 VI et suivants du code général des impôts.

Il s’agit d’une taxe forfaitaire représentative de l’imposition des plus-values à laquelle elle se substitue. Néanmoins, le cédant peut opter, sous certaines conditions, pour le régime d’imposition de droit commun des plus-values sur biens meubles.

Le taux de la taxe est fixé à 11 %, à laquelle s’ajoute la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) au taux de 0,5 %. La taxe est assise sur le prix de cession.

Ce régime d’imposition offre une certaine souplesse, dans la mesure où il ne tient compte ni de la plus-value, ni du prix d’acquisition. Seul le prix de cession est pris en compte dans le calcul de la taxation.

Toutefois, il ne semble pas nécessairement plus attractif (hormis pour les early adopters) que le prélèvement forfaitaire unique, dont l’assiette comprend uniquement la valeur de la plus-value.

Prenons l’exemple d’un individu, qui souhaite vendre des crypto-actifs à un prix de cession de 100 000 euros, comprenant une plus-value de 30 000 euros (soit une plus-value de 43 % par rapport au prix d’acquisition) :

– la taxe forfaitaire sur les métaux précieux donnerait lieu au paiement de 11 500 euros ;

– la taxe forfaitaire du régime cash-in/cah-out donnerait lieu au paiement de 9 000 euros.

En outre, la taxe forfaitaire sur les métaux précieux est également applicable aux bijoux, aux objets d’art, de collection et d’antiquité. Il ne semble pas totalement légitime d’assimiler les crypto-actifs à cette catégorie de biens meubles pour déterminer leur régime d’imposition.

La concomitance des deux régimes – « cash-in/ cash-out » lorsque le contribuable est en capacité de calculer son prix d’acquisition et le régime applicable aux métaux précieux dans le cas inverse – a également été étudiée mais est problématique. En effet, deux contribuables ayant effectué le même type d’opérations et ayant généré la même plus-value seraient, selon s’ils communiquent ou non leur prix d’acquisition, seraient imposés à 11,5 % pour l’un et à 30 % pour l’autre. La mise en œuvre d’un prix d’acquisition forfaitaire de 34 % pour les contribuables ne disposant que de leur prix de cession engendrerait, dans un cas au moins, le même type de difficultés. En outre, la taxe sur les métaux précieux serait majoritairement favorable aux early adopters d’un crypto-actif. En effet, ce dernier ayant acquis le crypto-actif à un coût unitaire presque nul.

Si ces dispositions permettent des avancées notables pour les contribuables vis-à-vis du régime antérieur. Le budget 2019 n’a constitué qu’une première étape qu’il faudra compléter par des mesures indispensables au développement de l’écosystème si nous souhaitons faire de la France une « crypto-nation » :

Proposition 4 : Clarifier la notion d’activité à titre « habituel » dans la doctrine administrative fiscale.

À porter (2019) : Cette caractérisation constitue à ce jour une réelle incertitude pour les contribuables réalisant du trading en crypto-actifs. En effet, une personne exerçant cette activité à titre occasionnel sera imposée au taux forfaitaire de 30 % tandis qu’un « trader » à titre habituel sera assujetti sous la catégorie BIC de l’impôt sur le revenu. À cet égard, nous devons préciser les éléments qui différencient un régime par rapport à l’autre. Le rapporteur préconise vivement que la doctrine fiscale statue sur ce point dès le début de l’année 2019.

Proposition 5 : Imposer les personnes réalisant des opérations en crypto-actifs à titre habituel selon le même régime que les personnes réalisant une activité de minage.

À porter (2019) : Il s’agira ainsi de faire relever les « tradeurs » de la catégorie BNC de l’impôt sur le revenu. Ces artisans de la blockchain que sont les mineurs sont régulièrement contraints de convertir leurs crypto-actifs en monnaie fiat afin de protéger leur trésorerie. Il semble difficilement envisageable de les contraindre à effectuer plusieurs déclarations et à être imposés à des régimes différents pour des crypto-actifs qu’ils conservent tous dans le même portefeuille.

Proposition 6 : Définir le rapatriement sur un compte bancaire comme fait générateur de l’impôt sur la plus-value en crypto-actifs.

À porter (2019) : Le régime retenu consacre le fait générateur de l’impôt au moment de la conversion de crypto-actifs en monnaie fiat. Cependant, il existe des plateformes de change crypto-fiat sur lesquelles le compte fiat de l’utilisateur n’est pas rattaché à son compte bancaire physique. Dès lors, l’utilisateur, lorsqu’il convertit ses crypto-actifs en euros par exemple, dispose uniquement d’une créance auprès de la plateforme mais ne détient en aucun cas une somme en euros matériellement disponible. Par ailleurs, il est d’usage que les utilisateurs convertissent leurs crypto-devises en fiat sur une plateforme pour des périodes très courtes, afin de se couvrir contre la volatilité des cours. Dans ce cas, le passage en monnaie fiat ne représente qu’un intermédiaire entre deux transactions de crypto-actifs à crypto-actifs qui devrait être exonéré.

Proposition 7 : Élever l’abattement annuel sur les opérations de cessions en crypto-actifs de 305 euros à 3 000 euros.

À porter (2019) : La doctrine du Conseil d’État prévoyait une exonération des opérations en crypto-actifs à hauteur de de 5 000 euros. Prévoir un abattement 16 fois moins avantageux dans le nouveau dispositif fiscal constitue donc un paradoxe notable vis-à-vis de l’ambition de promouvoir les crypto-actifs en France.

Proposition 8 : Dans les conditions déjà prévues par l’article 150-0-D du code général des impôts pour les plus-values réalisées dans le cadre du rachat d’actions, de parts de société ou de titres assimilés, permettre un report d’imposition des plus-values en crypto-actifs réalisées dans le cadre d’un apport de ces crypto-actifs à une société.

À porter (2019) : Les crypto-actifs ne revêtant pas économiquement ou juridiquement la même nature que les titres classiques, il est craint que l’extension du régime d’apport-cession afin de les y inclure entraîne une contagion à d’autres biens meubles. Ce principe de contagion n’étant pas vérifié, l’adoption ou non de cette mesure relève d’une volonté politique que le rapporteur souhaite porter. Cette mesure semble être indispensable si nous souhaitons faire de la France un territoire attractif. En effet, il est coutumier que des early adopters décident d’investir leurs crypto-actifs détenus en compte propre, dans une personne morale afin de constituer un apport à leur entreprise. Actuellement, en l’absence de report de la fiscalité sur les plus-values, on constate un exil important des entrepreneurs vers des états plus compétitifs.

Régime fiscal afférent aux personnes morales



• Comptabilisation des gains obtenus dans le cadre d’une vente de jetons lors d’une Initial coin offering (ICO)

Du point de vue des entreprises ou des personnes constituées comme telles, l’une des incertitudes reposait jusqu’ici sur la comptabilisation des jetons émis lors d’une ICO, ayant des conséquences notables sur la fiscalité. Sur ce sujet majeur, le règlement de l’Autorité des normes comptables (ANC) n° 2018-07 du 10 décembre 2018 devrait apporter quelques clarifications aux acteurs.

Le critère préalable afin de qualifier comptablement une ICO est de savoir si le jeton correspond à un titre financier, à un contrat financier, à un bon de caisse – auquel cas il devra être traité conformément aux règles du plan comptable général (PCG) – ou si le jeton ne répond à aucune des trois catégories précitées – auquel cas la comptabilisation du token dépendra des droits et obligations qui y sont associés conformément au white paper de l’entité émettrice.

Dans ce deuxième cas de figure, deux options existent :

– les jetons apparentés à une dette remboursable doivent être comptabilisés en emprunts et dettes assimilées comme cela est le cas pour les créances et dettes libellées en devise étrangère. À ce titre, ils sont non imposables ;

– les jetons ouvrant un droit à un bien ou un service futur doivent être comptabilisés en produits constatés d’avance. Dans cette situation l’entreprise étale le paiement de l’impôt dans le temps, à mesure de l’utilisation du jeton, lui permettant de déduire les charges liées aux coûts de développement du projet.

Proposition 9 : Appliquer cette logique de report dans la définition de la date d’exigibilité de la TVA collectée, qui interviendrait au moment de la fourniture du service ou de la livraison du bien en contrepartie de la vente du jeton.

La TVA étant un impôt harmonisé au niveau européen, le traitement des échanges de biens et services contre des crypto-actifs fait également l’objet de réflexions au sein du comité de la TVA, instance chargée de donner des orientations sur des questions nouvelles d’intérêt collectif.

– les jetons ne conférant aucun droit « explicite ou implicite » aux souscripteurs doivent être comptabilisés en produit, c’est-à-dire en chiffre d’affaires donnant lieu à l’imposition de la somme levée.

• Traitement fiscal des jetons attribués à titre gratuit

Par ailleurs, selon l’étude de l’AMF réalisée en novembre dernier, un quart des montants levés en France par ICO est consacré au paiement de salaires et autres rémunérations, bien souvent au moyen de crypto-actifs. Ainsi, il semble nécessaire que le cadre fiscal afférent à l’attribution de jetons gratuits soit adapté à la réalité économique des acteurs.

Proposition 10 : Aligner le régime fiscal applicable aux attributions de jetons gratuits sur le régime applicable aux attributions d’actions gratuites.

Le régime proposé permettra de reporter le paiement de l’impôt au moment où le bénéficiaire du jeton le convertit en monnaie fiat ou l’utilise pour l’achat d’un bien ou d’un service. Cette proposition pose la question politique de savoir si l’on souhaite encourager ou non la rémunération de salariés en crypto-actifs. Cependant, en plus d’être préexistante pour les actions gratuites, elle s’inscrit dans la vision législative que l’on souhaite porter en France pour les crypto-actifs : les opérations sont exonérées tant qu’elles ont lieu au sein de la sphère « crypto », le fait générateur intervient lorsque les crypto-actifs sont rapatriés dans l’économie réelle.

Cette proposition corrige également les problématiques de valorisation du jeton en ce que la valeur retenue dans le calcul de l’impôt serait celle de la première cotation du jeton sur une plateforme d’échange ou, le cas échéant, la valeur au moment de la mise en vente du jeton par l’émetteur d’ICO puisqu’il est en effet possible de revendre un jeton sans qu’il n’ait été coté sur une plateforme.

• Comptabilisation des pertes en crypto-actifs dans les charges déductibles des Jeunes entreprises innovantes (JEI)

Une autre incertitude à laquelle sont confrontées les entreprises est celle du statut de jeune entreprise innovante. En effet, ce statut est conditionné à ce que l’entreprise puisse justifier que les dépenses en recherche et développement représentent au moins 15 % de ses charges fiscalement déductibles.

Cependant, deux problématiques se posent aux entreprises blockchain qui souhaitent en bénéficier en raison de la volatilité du cours des crypto-actifs. Premièrement, les charges fiscalement déductibles peuvent fortement augmenter en cas de chutes importantes des cours. En effet, ces pertes devant être comptabilisées parmi les charges déductibles, elles augmentent d’autant le montant à investir en R&D afin d’atteindre le seuil de 15 %. L’entreprise se retrouverait dès lors dans l’incapacité de remplir les seuils de dépenses en R&D prévues par le statut JEI. Par conséquent, le montant à investir en R&D n’est pas prévisible, ce qui constitue une seconde source d’inquiétude pour les entrepreneurs, notamment dans le cadre de la réalisation de leur business plan.

Proposition 11 : Exclure les pertes liées à la dépréciation des crypto-actifs des charges fiscalement déductibles pour les jeunes entreprises innovantes (JEI).

Fiscalité des mineurs



• Reconnaissance des sociétés de minage comme industrie électro-intensive

Nous l’avons évoqué, les mineurs ne sont pas exempts de difficultés fiscales. Pourtant, la fiscalité du minage est l’une des grandes oubliées de la loi de finances pour 2019 adoptée au Parlement en décembre dernier. Le minage est néanmoins une activité hautement stratégique pour l’indépendance nationale, notamment en termes de sécurité juridique des données. Il serait pour le moins regrettable que demain, nos transactions de paiement soient validées dans un pays dont nous ne partageons pas les mêmes intérêts économiques tel que la Chine.

Il est à ce titre essentiel que nous œuvrions à l’implantation de ce type d’infrastructure de blockchain sur notre territoire.

Les sociétés de minage choisissent le positionnement géographique de leurs centres en fonction du coût de l’électricité, qui représente une charge financière majeure pour l’activité. Or, le contexte de hausse du coût complet de l’électricité en France depuis 2012 (+ 12 % pour les très gros consommateurs) alors qu’il est stable, voire en baisse, dans d’autres pays, est de nature à dissuader l’implantation de centres de minage en France.

Avec des coûts d’électricité représentant presque la totalité de leurs coûts de production, les sociétés de minage devraient pouvoir pleinement bénéficier des avantages attachés à la catégorie des industries électro-intensives, notamment l’exonération de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Une telle exonération permettrait d’abaisser le coût de l’électricité de 9 à environ 6 centimes d’euros par kilowattheure, et de rattraper notre déficit de compétitivité vis-à-vis de pays tels que la Chine, le Kazakhstan et la Russie où le prix de l’électricité est de l’ordre de 4 à 5 centimes d’euros.

La dernière grande révision de la Nomenclature d’activité française, dont dépend le code APE auquel les services des douanes sont attentifs dans l’attribution du qualificatif électro-intensif à une société, date de 2008. L’activité de minage ne pouvait dès lors être prise en compte.

Proposition 12 : Prévoir l’exonération de TICFE pour les centres de minage en crypto-actifs dans l’attente d’une nouvelle actualisation des nomenclatures.

• Double collecte de la TVA

En outre, il sera nécessaire de pallier la problématique de la double collecte de la TVA pour les mineurs établis en France.

Certes, la TVA relève du droit de l’UE. Cependant ce régime permet de nombreuses variations nationales qui peuvent parfois faire l’objet d’une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Dès 2015, la CJUE a d’ailleurs acté l’exonération de TVA des échanges de crypto-fiat. Le seul point potentiellement bloquant afin de procéder de manière analogue pour le minage serait lié à la définition même de cette activité de minage puisque la directive 2006/112/CE définit comme soumises à la TVA « les livraisons de biens [et] les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ». Compte tenu des spécificités des crypto-actifs, il s’agirait donc de savoir si le mining constitue une prestation de services ou un autre type d’opérations.

Proposition 13 : Inclure une interprétation dans le BOFiP, précisant que la validation d’une transaction en crypto-actifs ne constitue pas un service soumis à la TVA tout en tenant compte du droit à la déduction de la TVA pour les sociétés de minage.

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